Sven Gatz: 10 raisons pour lesquelles Ahmed Laaouej a tort

En tant que ministre en affaires courantes, je m’étais promis de me concentrer exclusivement sur le contrôle du budget en ces temps difficiles et incertains. Et ceux qui me connaissent un peu savent que je m’attaque rarement à la personne, mais toujours à la balle. Pourtant, je me sens obligé de faire une exception. Car un homme, un seul, bloque depuis des mois la formation d’un gouvernement bruxellois. Il n’y a pas une, mais bien dix raisons de dire pourquoi il a tort dans son entêtement mal placé.
1) C’est le MR qui a gagné les élections, pas le PS
Les usages politiques exigent qu’on laisse au vainqueur le soin de former un gouvernement, qu’on défende chèrement sa peau, et qu’on se replie sur son cœur de métier. On laisse la victoire au vainqueur, on ne tente pas sournoisement de la lui ravir ou de la reléguer aux oubliettes.
2) Le parti du Premier ministre n’est pas un parti raciste
Depuis des mois, Ahmed Laaouej cite des tweets de Theo Francken sur Bruxelles (des tweets de très mauvais goût, certes) pour prouver que son parti est raciste. On peut dire beaucoup de choses sur la N-VA (et il y a une raison pour laquelle, en tant qu’ancien de la VU, je n’y ai jamais adhéré), c’est un parti nationaliste et conservateur, mais ce n’est pas un parti raciste. Point final.
3) Depuis 35 ans et à 7 reprises, le gouvernement bruxellois est formé d’une majorité francophone et néerlandophone
C’est ce que prévoit la loi spéciale de Bruxelles de 1989. On peut trouver ce système (à juste titre, en partie) dépassé, mais on ne change jamais les règles du jeu en cours de partie. Toute loi peut être modifiée, mais tant que ce n’est pas le cas, tout démocrate se doit de la respecter. À la création de la Région capitale, des ennemis jurés comme le FDF et la VU ont siégé ensemble. Pourquoi DéFI et la N-VA ne le pourraient-ils pas ? Sans parler du PS, qui a largement contribué au statut particulier de Bruxelles.
Et jamais une formation francophone n’a mis son veto à un partenaire néerlandophone (ou vice versa), même s’il existe un mécanisme pour exclure les fascistes.
4) Bruxelles n’est pas une île
C’est la clé de voûte institutionnelle du fédéralisme belge. Une collaboration étroite avec les Régions et Communautés du nord comme du sud est indispensable. Et, à la manière de Manneken Pis, uriner symboliquement sur la jambe du Premier ministre, c’est peut-être amusant, mais ce n’est pas une stratégie : Bruxelles a un besoin vital du soutien fédéral pour assumer son rôle de capitale.
5) Le PS refuse de faire des économies
Le gouvernement précédent a beaucoup dépensé. Vouloir dépenser : des investissements stratégiques hors budget, avec des taux d’intérêt bas. Devoir dépenser : crises du covid, de l’Ukraine, de l’énergie. Mais maintenant, il faut économiser. Dépenser, n’importe quel politicien sait le faire. Épargner intelligemment exige du courage. Ahmed Laaouej dit vouloir le faire. Mais, en affaires courantes, je ne reçois que des factures supplémentaires et intenables pour financer le logement social. Y a-t-il deux Partis Socialistes ?
6) Laaouej place les communes au-dessus de la Région
Beaucoup de partis francophones font cela, certes. Mais on ne peut pas renforcer les communes, contrarier le fédéral, refuser de venir à la table des négociations pour former un gouvernement bruxellois, et ensuite feindre la surprise quand la Région bruxelloise se délite. On brûle le navire… (à Schaerbeek aussi, d’ailleurs).
7) Il place l’intérêt du parti avant l’intérêt général
Son illustre prédécesseur, Philippe Moureaux, tenait le même discours… mais il venait à la table, négociait durement, et trouvait un accord. Et une parole était une parole. Le PS a aujourd’hui une autre stratégie : se rendre infréquentable pour toutes les autres formations bruxelloises. Un objectif pour le moins étrange.
8) Le PS choisit délibérément la polarisation
Autrefois, le PS représentait les ouvriers face au patronat. Ou les laïques contre les catholiques. Aujourd’hui, le foulard et Gaza semblent plus importants à ses yeux que toute autre question politique bruxelloise. Dommage. Ce qui se passe à Gaza doit nous concerner tous, mais ce n’est pas le sujet des élections à 3 000 km d’ici. Et faire de la religion un outil politique mène toujours à des problèmes. Tout le monde le sait. Ce n’est pas parce qu’on peut en tirer des voix qu’il faut le faire. Quo vadis, PS ?
9) Sous Laaouej, le PS court après le PTB
Récemment, une grande majorité de gauche (PS-PTB-Ecolo) a voté une régulation des loyers dangereuse au Parlement bruxellois. Une telle mesure risque de faire fuir les propriétaires/locataires de Bruxelles. Et elle ne plaît même pas à plusieurs députés socialistes : ils possèdent eux-mêmes des appartements à louer ou connaissent des électeurs dans ce cas. Ils savent pourquoi cette loi risque d’être contre-productive. Mais la discipline de parti est impitoyable…
Tout cela parce qu’on suit aveuglément le PTB. Aux néerlandophones bruxellois, on demande (à juste titre) de ne pas s’allier aux fascistes, mais on dresse soi-même le lit des communistes (à Molenbeek et à Forest aussi, voir point 6).
10) Machiavel vivait à Florence, pas à Bruxelles
On a récemment appris qu’un député MR passait au PS au Parlement bruxellois. Le transfugisme est un fléau en politique bruxelloise, mais ce transfert dépasse l’entendement : comme dans un mercato de football de bas étage, on recrute soudainement quelqu’un pour le faire passer du camp bleu au camp rouge. Pile au moment où certains tentaient, avec prudence, de transformer un cabinet minoritaire en majorité.
Machiavel ? Non, merci !
Ici, on préfère Magritte.
Bruxelles est une ville libérale où vivent aussi beaucoup de socialistes : ceci n’est pas une ville de gauche.